Gusztáv KECSKÉS De lautre cote du rideau de fer...: La révolution hongroise de 1956 et la politique étrangere française á la lumiere de quelques entretiens avec danciens diplomates De lautre côté du rideau de fer...La révolution hongroise de 1956 et la politique étrangere française á la lumière de quelques entretiens avec danciens diplomates, Specimina Nova, Pécs, 1999, 155-171.
1956 - Budapest : La date et le lieu sont restés vivaces dans lesprit de beaucoup de Français. En effet, le nom de la capitale hongroise est devenu lun des symboles les plus importants des dernieres années de la IVeme République : Apres les événements de Budapest de nombreux Français devaient perdre leurs propres illusions á propos des pays où le socialisme était instauré. Quant á la société française, qui a observé avec une sympathie particuliere le déroulement rapide des événements, avec leur fin tragique, celle-ci a eu tres vite la possibilité dexprimer sa compassion par des actes : les milliers de réfugiés hongrois arrivant en France ont été reçus par des milliers de familles françaises, par des organisations laïques et religieuses avec un appui important du gouvernement. La vie publique et la presse française se sont intéressées aux événements de la révolution hongroise dune façon conforme á sa portée en automne 1956 et, plus tard, elles en ont conservé le souvenir pendant des décennies. Pour étudier la politique étrangere de la France vis-á-vis de la révolution hongroise au cours des années 1960-1970, seulement certaines sources étaient disponibles : la presse, les décrets officiels et les mémoires. A partir de la deuxieme moitié des années 1980, les fonds darchives français sont devenus accessibles.1 En voici quelques exemples : Aux Archives Diplomatiques (Ministere des Affaires étrangeres)2, les dossiers de la série Europe 1944-1960, notamment la sous-série Hongrie, contiennent en abondance des documents relatifs á la révolution hongroise de 1956 et concernent également des aspects politiques intérieurs et extérieurs, économiques, militaires et religieux3. Les dossiers du Cabinet du Ministre ont déjá été également classés, ainsi que ceux du Secrétariat Général de ce Ministere. En ce qui concerne les archives des autres institutions publiques : Les archives de la Présidence de la République et du Conseil des Ministres, qui sont conservées aux Archives Nationales, traitent également des questions de la Hongrie de lépoque et de la révolution hongroise, ainsi que les documents des Services historiques de lArmée de Terre , et de lArmée de lAir. A lAssemblée Nationale et au Sénat, il y a aussi des dossiers accessibles sur le sujet. Mais je souhaiterais, ici, exploiter un autre type de sources : celles de lhistoire orale4: les entrevues avec les participants et les témoins des événements sont aussi une autre voie importante á explorer. A quarante ans de distance, peut-on donner crédit á un souvenir ? Les limites de la mémoire humaine sont bien connues. Il sagit de loubli inévitable, de la subjectivité des témoignages. Les souvenirs sont souvent influencés par les apports postérieurs (par les journaux, les livres etc.). Parfois les enquêteurs peuvent rencontrer des falsifications délibérées... En revanche, il nous faut également énumérer les avantages de cette méthode, qui complete les informations fournies par le dépouillement des archives écrites. Il est á noter quau cours des négociations de certaines affaires délicates, tres peu de documents ont été produits sous forme écrite. Laffaire de Suez , qui a fortement influencé la perception de la révolution hongroise en France, en est un exemple5. En outre, ce sont les méthodes de travail des organes gouvernementaux qui expliquent le manque de documents. Cest le cas du Cabinet du Ministre des Affaires Etrangeres, selon les dires de M. Jean-Marie MERILLON, diplomate en 1956. Les dossiers sur les correspondances entre le Ministere des Affaires Etrangeres et la Légation de France en Hongrie contiennent relativement peu dinformations provenant du Ministere, ce qui ne permet pas davoir une idée plus précise sur leurs positions vis-á-vis des événements hongrois. Dautre part, il est souvent difficile de cerner la personnalité des acteurs (leurs motivations, leurs opinions, leurs points de vue, leurs sentiments) á travers létude de documents officiels. En revanche, les questionnaires auxquels ont répondu des personnes ayant pris une part active au travail de la diplomatie française, ou dans la vie politique en général, ou bien les entrevues avec eux, permettent de mieux appréhender leur rôle á cette époque. Comment peut-on apprécier la révolution hongroise de 1956 (sa nature, son importance)? Comment peut-on caractériser le rôle et limportance de la Hongrie dans la politique étrangere française avant 1956, pendant la révolution et ensuite ? Y a-t-il une relation directe ou indirecte entre la révolution hongroise et lintervention franco-anglo-israélienne de Suez ? Comment peut-on caractériser lactivité et le comportement politique de la France vis-á-vis de la tragédie hongroise ? Comment peut-on apprécier la réaction officielle française aujourdhui, 40 ans plus tard? La position adoptée en 1956 était-elle adéquate ? Est-ce que lEtat français avait dautres choix ? Tant de questions que lon sest posées souvent en Hongrie depuis le soulevement. Tant de préjugés et didées bien enracinées...6 Il paraît donc utile de demander lavis des représentants de lautre côté du rideau de fer pour mieux comprendre la réalité. En automne 1996, ayant reçu une bourse de la Fondation Soros, puis, en 1997 celle du Gouvernement Français jai eu la possibilité de réaliser des entrevues avec les participants et les témoins de la politique extérieure française de lépoque, et leur ai posé ces questions. Les huit personnes interviewées sont danciens diplomates, parmi lesquels quatre soccupaient directement de laffaire hongroise : M. Jean-Marie MERILLON, en 1956, a préparé les rapports pour le Ministre des Affaires Etrangeres, M. Christian Pineau, au sein de son Cabinet ; M. Fernand ROUILLON était le spécialiste de la question hongroise á la Sous-Direction dEurope Orientale ; M. Jean-Bernard RAIMOND, rédacteur, chargé de suivre les affaires politiques de lUnion Soviétique au Proche-Orient, la Bulgarie et la Tchécoslovaquie travaillait également á ce service du Ministere des Affaires étrangeres. M. Guy TURBET- DELOF, en tant quAttaché Culturel de la Légation de France en Hongrie et Directeur de lInstitut Français á Budapest entre 1947 et 1958, avait une vaste expérience directe de la révolution de 1956.7 En revanche dautres diplomates interviewés comme : M. Maurice FAURE, Secrétaire dEtat aux Affaires Etrangeres, qui soccupait surtout de lintégration européenne ; M. Jean DARIDAN, Directeur Adjoint du Cabinet du Ministre, puis Directeur Politique ; M. Vincent LABOURET, membre du Secrétariat Général du Ministere des Affaires étrangeres et, en fonction á lAmbassade de France á Moscou, Mme. Isabelle ESMEIN, Deuxieme Secrétaire en 1956, ont suivi de loin les événements hongrois. En plus de la volonté incontestable de sincérité de mes interlocuteurs, lintérêt des entrevues a été assuré par le fait que ces personnes ont réellement vécu les événements de la révolution hongroise, bien quelles ne soient pas intervenues au niveau des décideurs assumant la plus grande responsabilité. Je saisis cette occasion pour les remercier de leur gentillesse et de leur aide. Leurs idées politiques étaient, en général, libérales, démocrates et anti-soviétiques. Plusieurs dentre elles étaient de confession catholique. Les diplomates, en général, nétaient pas membre dun parti politique. La nouvelle de la révolution hongroise et son écrasement brutal par les Soviétiques ont causé une grande émotion. Certains, comme M. MERILLON, M. ROUILLON ou M. RAIMOND, étant donné leur poste, ont suivi les événements dheure en heure ; dautres, dont M. Maurice FAURE, les ont suivis en tant que spectateur. Mais personne nest resté indifférent. La révolution hongroise a été une surprise, un étonnement pour la diplomatie française, parce que lon pensait que les pays de lEurope de lEst étaient alors totalement contrôlés par les Soviétiques. Il y avait un grand mouvement de sympathie á légard des courageux insurgés qui osaient combattre la puissante Armée Rouge et qui pouvaient y résister si longtemps. En conséquence, on jugeait scandaleuse lintervention militaire soviétique. Selon lune des personnes interviewées ...Le sentiment qui a dominé pendant laffaire hongroise en Occident, a été la crainte...la crainte que ça ne dégénere, et il explique quil y avait une grande tension, une situation extrêmement tendue. On avait peur de la troisieme guerre mondiale, de la guerre atomique. Dautres nont pas de souvenir de cette appréhension. A part quelques rares fonctionnaires communistes, les diplomates français étaient donc passionnés et entierement unanimes sur les événements hongrois. Les sources écrites prouvent cet état démotion. Bien quau début de la crise le ton objectif et neutre ait caractérisé les documents internes du Ministere des Affaires étrangeres8, plus tard on peut constater linquiétude9, enfin la véritable compassion face au sort tragique de la Hongrie10.
Comment a-t-on apprécié la nature et limportance des événements ? La plupart de mes interlocuteurs ont utilisé les termes révolution et insurrection á propos des événements, en mentionnant leur caractere anti-soviétique. Le but des révolutionnaires était essentiellement de libérer la Hongrie, de résister á la présence soviétique. Les documents diplomatiques emploient également les termes insurrection et révolution , ainsi que soulevement populaire . Selon une note de la Sous-Direction dEurope Orientale, les événements de Hongrie ont revêtu le double caractere dune lutte pour lindépendance nationale...et pour la libéralisation du régime...11 Quant á limportance de linsurrection : Collaborateur direct du Ministre des Affaires Etrangeres, M. MERILLON a attaché la plus grande importance aux événements hongrois. On les a traités également, au niveau du Cabinet du Ministre, comme une affaire de premier plan... . Les télégrammes du représentant français au Conseil de lOTAN soutiennent cette estimation : le 27 octobre et le 2 novembre, on y a négocié laffaire hongroise, mais sans éditer un communiqué de presse, qui risquait dêtre utilisé par les Soviétiques pour tenter de légitimer leur intervention et pouvait faire beaucoup de mal12 . Concernant les conséquences de la révolution hongroise et son écrasement brutal, plusieurs personnes interviewées ont mentionné la crise du Parti Communiste Français et le trouble parmi les intellectuels en France13. Deux opinions opposées se sont exprimées á propos du rôle du soulevement étouffé dans leffondrement des systemes communistes en 1989-1991 en Europe Centrale et Orientale. Selon la premiere approche, linsurrection hongroise était une action utile, les jeunes gens se sont sacrifiés, malgré leur échec, pour une affaire utile. Car le sacrifice des Hongrois était un maillon de la chaîne des révolutions contre lUnion Soviétique, aboutissant á son effondrement. Un autre diplomate conteste ce raisonnement en disant que les mouvements des Etats satellites nont pas influencé la chute de lEmpire14. Comment caractérise-t-on le rôle et limportance de la Hongrie dans la politique étrangere française? Avant 1956, selon les anciens diplomates interrogés, on considérait la Hongrie comme un des pays satellites de lUnion Soviétique, avec les autres pays de lEurope de lEst. Elle na pas joué un rôle particulier dans la politique extérieure de la France, parce que ce pays était dans le bloc communiste, de lautre côté du rideau de fer15. Les diplomates français sen tenaient donc á ce quils croyaient être les conséquences de Yalta16.
Interrogés sur les priorités de la politique extérieure française, mes interlocuteurs ont mentionné la guerre froide (lopposition des deux blocs), lintégration européenne et la guerre dAlgérie17. Dans ce contexte, se trouvant au milieu du camp communiste, la Hongrie donc navait pas de place particuliere avant 1956 dans la politique extérieure de la France. En ce qui concerne la période ultérieure aux événements, deux types dopinion se sont manifestés. Il y a danciens diplomates pour qui la situation en Hongrie était restée fondamentalement inchangée, voire même, pour certains, le regne soviétique était devenu encore plus dur. Par contre, dautres voyaient certains changements : en répondant á la question sur les raisons du rapprochement avec le régime de Kádár (fortement condamné á son début)18, ils mont expliqué quá côté de lidéologie communiste, on pouvait observer aussi un sentiment de nationalisme, un souhait de suivre une voie particuliere. Selon M. ROUILLON, lon a espéré que Kádár serait communiste et hongrois en même temps. On a constaté que le dirigeant hongrois était moins mauvais que les autres leaders communistes en Europe de lEst, et la Hongrie a eu, petit á petit, plus de liberté que la Pologne, souligna M. FAURE. Il y a lieu de noter que la Légation de France á Budapest a aperçu tres vite les différences entre la ligne du parti hongrois et celle des autres partis communistes du camp soviétique : le chargé daffaires, en analysant le communiqué des négociations des dirigeants soviétiques, bulgares, tchécoslovaques, roumains et hongrois (Budapest, du 1er au 4 janvier 1957), a écrit dans son rapport en janvier 1957 : Il me paraît toutefois intéressant de remarquer que la déclaration de Kadar19, en dépit de son orthodoxie, constitue précisément une voie particuliere vers le socialisme, et na pas grand-chose de commun avec ce qui se passe dans les démocraties populaires de Roumanie, de Bulgarie, de Tchécoslovaquie et en Russie même ; lunion des cinq puissances a donc une valeur stratégique et idéologique, mais sur le plan de laction gouvernementale elle nest que de la façade 20. Mais la politique française, á lépoque, était tout de même fortement dominée par laffaire de Suez, a souligné M. André Fontaine, chef du Service étranger au journal Le Monde en 1956, lors du colloque international commémorant le 40e anniversaire de la révolution hongroise au Sénat.21 Il y a eu coïncidence entre les nouvelles sur lintervention militaire franco-anglo-israélienne et la révolution hongroise. On sait que les représentants des gouvernements français, anglais et israélien ont négocié secretement á Sevres, du 22 au 24 octobre, pour finir la préparation de lintervention militaire. Le commencement du soulevement hongrois le 23 octobre et lattaque israélienne le 29 octobre ont été si proches quen Hongrie, on se pose souvent la question depuis plus de 40 ans : Y a-t-il eu une relation directe entre ces deux événements ? Certains supposent que la cause majeure de lintervention de Suez était précisément la mise á profit des difficultés de lURSS en Hongrie. Faute de documentation satisfaisante disponible sur ce sujet la littérature française est partagée22. La plupart de mes interlocuteurs étaient absolument convaincus quil ny avait aucun rapport direct, sauf la concomitance. Plusieurs personnes interviewées expliquent quils sagit de deux logiques : la logique des Français et des Anglais, qui cherchaient á répondre á la démarche de Nasser nationalisant le Canal de Suez (le 26 juillet 1956), et la logique des Soviétiques, qui voulaient empêcher le développement de la situation hongroise. Ils considerent en général que lintervention á Suez était une erreur. Cette affaire occultait ce qui se passait en Hongrie ; elle tombait, mal parce que lon ne pouvait pas traiter la cause hongroise convenablement. Mais cela na pas changé essentiellement le comportement de la France envers la révolution hongroise. Suez a détourné lattention de lopinion publique. , apprécie M. RAIMOND. Une note de la Sous-Direction dEurope Orientale du Ministere des Affaires étrangeres français analyse également les éventuels rapports entre linsurrection hongroise et laffaire de Suez : La mise en regard des dates marquantes de la crise en Hongrie et au Moyen-Orient, depuis le 23 octobre, ne fait apparaître aucune corrélation rigoureuse entre les interventions soviétiques contre les insurgés hongrois et les mesures prises par Israël dune part, par la France et par la Grande-Bretagne de lautre, au Moyen Orient. 23 Cette comparaison semble répondre á la constatation fréquente á lépoque selon laquelle lUnion Soviétique naurait jamais osé intervenir en Hongrie avec autant de cynisme et de férocité, si les Anglo-Français ne lui avaient pas fourni un magnifique dérivatif.24 Regardons ensuite comment on a apprécié lactivité et le comportement du gouvernement français vis-á-vis des événements hongrois. On a constaté deux éléments : dune part, la passivité ; la France et les autres puissances occidentales ne sont pas intervenues militairement en Hongrie pour aider la lutte hongroise, et, dautre part , laccueil des réfugiés. ...je ne crois pas quon puisse trouver trace, dans les archives daucun de nos gouvernements, dune idée dintervention militaire, dit M. André Fontaine25. M. MERILLON, qui a travaillé au Cabinet du Ministre en 1956, a constaté quatre principes fondamentaux qui expliquent la politique de non-intervention des Occidentaux : 1. La puissance formidable de la machine de guerre soviétique : ils ont résisté aux Allemands dune maniere incroyable, ils ont envahi la moitié du monde, ils étaient leaders dans le domaine du développement technico-militaire. 2. Lidéologie de lUnion Soviétique et de ses alliés : le communisme était fort et tres séduisant. Beaucoup sont morts pour cette idéologie. 3. Le mythe de Yalta, vivace dans lesprit des dirigeants politiques et dans lopinion publique : les deux superpuissances ont partagé le monde apres la deuxieme guerre mondiale26, et cest léquilibre de la terreur qui empêchait la troisieme guerre mondiale. 4. La crainte dune guerre mondiale thermonucléaire. Dautres mentionnent également léquilibre des deux blocs et la crainte dune guerre atomique dans le cas dune intervention et, par conséquent, ils tiennent une assistance militaire française en Hongrie pour absolument impossible27. Mais quelle était la stratégie active de la France vis-á-vis de la Hongrie apres la révolution? La France cherchait á soutenir moralement la liberté, essence de la lutte hongroise, en vue de préparer lavenir, sans intervention militaire28. La diplomatie française voulait affaiblir graduellement le systeme soviétique jusquá leffondrement, selon lavis de M. ROUILLON. Lautre élément considérable de la réaction officielle, a été laccueil tres favorable des réfugiés hongrois. Le cabinet de Guy Mollet a reçu tous les réfugiés sans distinction de profession29. Des cours de langue, loctroi de bourses et laffiliation á la sécurité sociale permettaient aux Hongrois de sinsérer dans la société française. Le Ministere des Affaires Etrangeres a joué un rôle primordial dans cette politique. Il a coordonné cette action humanitaire en organisant le logement, la subsistance etc. avec la collaboration des autres ministeres30. Cest M. ROUILLON, spécialiste des questions hongroises au sein de la Sous-Direction dEurope orientale, qui a reçu á laéroport le premier avion de Vienne transportant les réfugiés. Comment peut-on expliquer laccueil si chaleureux des Hongrois par les Français ? En Hongrie, certains supposent que laccueil officiel des réfugiés hongrois, apres lécrasement de la révolution, peut être expliqué par la mauvaise conscience du gouvernement français á cause de Suez, ou par la prétention daméliorer limage de la France, détériorée par cette affaire. Selon les diplomates interrogés, cette argumentation est fausse. On parle de la sympathie et de la bonne volonté envers les insurgés courageux de Budapest31. M. FAURE mentionne lhostilité vis-á-vis de lUnion Soviétique32. Selon plusieurs personnes interviewées, il y a une tradition française, remontant á la révolution de 1789, dont lessence est de soutenir les mouvements nationalistes européens et les guerres dindépendance (par exemple laide aux Polonais, aux Italiens). Mais, comment apprécie-t-on actuellement lactivité politique de lEtat français dans laffaire hongroise? Etait-elle adéquate? Est-ce que lEtat français avait dautres choix ? M. MERILLON estime que la réaction de la France á lépoque, donc le manque de démarches plus résolues, a été une grave erreur. Ce diplomate, en tant quAmbassadeur de France en Union Soviétique de 1989 á 1991, a vécu leffondrement de lempire comme un phénomene absolument inattendu. Les soviétologues parlaient, en général, de la force gigantesque des Soviétiques. On a donc surestimé la puissance de lURSS. Ce pays avait plutôt lapparence du pouvoir : par exemple, dans le domaine de la technologie. On a surestimé aussi linfluence de lidéologie communiste, en pensant quelle avait déjá été bien implantée dans la mentalité des peuples de lEurope de lEst. On sest mépris également sur le partage en deux du monde. Par conséquent, on sest trompé sur les décisions á prendre et les stratégies á mener vis-á-vis de la Hongrie : lOccident aurait pu être beaucoup plus actif, il aurait pu protester dune maniere plus ferme, et les événements auraient pu se dérouler différemment... Mais les Soviétiques ont réussi á impressionner le monde. Bien sûr, il est facile de le dire maintenant, ajoute M. MERILLON. Selon dautres anciens diplomates, la France naurait pas pu faire autrement. En résumant les témoignages : la révolution hongroise de 1956 et son écrasement sanglant par lUnion Soviétique ont suscité une grande réaction émotionnelle parmi les fonctionnaires du Ministere des Affaires étrangeres français. On a traité cette question comme une affaire tres importante. Bien que la Hongrie nait pas joué un rôle particulier dans la politique étrangere française avant linsurrection de 1956, on a suivi le développement de la crise dune façon tres attentive, et on a aperçu la spécificité du systeme de Kadar. On ne pense pas quil y ait eu une relation directe entre la révolution hongroise et lintervention franco-anglo-israélienne de Suez : lengagement de lUnion Soviétique á cause de lagitation en Hongrie nétait pas le facteur primordial dans la prise de décision concernant lattaque contre lEgypte. En revanche, laffaire de Suez a affaibli la position de la France á propos du traitement de la question hongroise. Une assistance militaire française était inimaginable á cause des réalités de la guerre froide (lopposition des deux blocs, le risque dune guerre atomique). La politique active de lEtat français sest exprimée par laccueil tres favorable des réfugiés hongrois apres lécrasement de linsurrection, et par le rapprochement diplomatique progressif avec le régime de Kádár. On croit en général approprié le comportement du gouvernement français vis-á-vis de linsurrection de Hongrie. Il faudrait donc, en Hongrie, réviser les préjugés et modifier les idées reçues : la lutte hongroise a eu des répercussions tres considérables en France, de lautre côté du rideau de fer . On a estimé, admiré et essayé daider les combattants héroïques de Budapest, et on na pas oublié leur sacrifice apres les événements... Le fait que la plupart des sources sur ce sujet soient encore inexplorées, nous offre beaucoup de possibilités pour continuer les recherches.
NOTICES BIOGRAPHIQUES33 ESMEIN, Isabelle : née le 31 mars 1926 ; Diplômée de lInstitut détudes politiques et de lEcole nationale des langues orientales ; Ministre plénipotentiaire de 1ere classe ; á partir de 1951 á ladministration centrale du Ministere des Affaires étrangeres, Deuxieme secrétaire á Moscou, Deuxieme conseiller á Washington, Centre danalyse et de prévision, Chargée de mission aupres du Directeur dEurope ; Chevalier de la Légion dHonneur. DARIDAN, Jean : né le 15 août 1906, ancien éleve de lEcole nationale des Chartes ; Ministre plénipotentiaire hors classe ; au Ministere des Affaires étrangeres á partir de 1932, Ambassadeur á Tokyo, á New Delhi, Directeur adjoint du cabinet du ministre, Directeur général des Affaires politiques et économiques, Conseiller diplomatique du Gouvernement ; Commandeur de la Légion dHonneur. FAURE, Maurice : né le 2 janvier 1922 ; Agrégé dhistoire et de géographie, Docteur en droit ; Chef du cabinet du secrétaire dEtat á la Présidence du Conseil, Député du Lot, Secrétaire général puis Président du parti radical-socialiste, Secrétaire dEtat aux Affaires étrangeres, Ministre de lIntérieur, Ministre des Institutions européennes, Représentant de la France á lAssemblée parlementaire européenne, Représentant á lAssemblée des communautés européennes, Sénateur du Lot, Ministre dEtat, Ministre de lEquipement et du Logement, Membre du Conseil Constitutionnel ; Commandeur du Mérite civil. MERILLON, Jean-Marie : né le 12 février 1926 ; ancien éleve de lEcole nationale dadministration ; Ambassadeur de France ; au Ministere des Affaires étrangeres de 1952 á 1992 ; Ambassadeur á Amman, á Saïgon, á Athenes, á Alger, á Berne, á Moscou, Représentant permanent de la France aupres du Conseil de lOTAN á Bruxelles, Directeur des Affaires politiques du Ministere des Affaires étrangeres ; Officier de la Légion dHonneur. LABOURET, Vincent : né le 11 avril 1922 ; Diplômé de lEcole des sciences politiques ; service dans la Résistance ; Ministre plénipotentiaire hors classe ; Chef du cabinet du Secrétaire dEtat aupres du Premier ministre, Chef du cabinet du ministre de lEducation nationale, Chef du cabinet du Ministre dEtat chargé des Affaires algériennes, Conseiller du Centre danalyse et de prévision ; Officier de lOrdre National du Mérite. RAIMOND, Jean-Bernard : né le 6 février 1926, ancien éleve de lEcole normale supérieure, ancien éleve de lEcole nationale dadministration ; Ambassadeur de France, Député ; au Ministere des Affaires étrangeres á partir de 1956, Ambassadeur á Rabat, á Varsovie, á Moscou et á Oulan-Bator, á Rome (Saint-Siege), Ministre des Affaires étrangeres ; Commandeur de lOrdre National du Mérite. ROUILLON, Fernand : né le 11 décembre 1920 ; Diplômé de lEcole des sciences politiques ; Ministre plénipotentiaire hors classe ; Premier conseiller á la mission permanente française aupres de lONU, Sous-Directeur dAfrique-Levant á ladministration centrale, Ambassadeur á Damas, á Ankara ; Commandeur de lOrdre National du Mérite. TURBET-DELOF, Guy : né le 4 mai 1922 ; ancien éleve de lEcole normale supérieure ; Attaché Culturel de la Légation de France en Hongrie et Directeur de lInstitut Français á Budapest, Professeur émérite á lUniversité de Bordeaux III, fondateur du Centre dEtudes Littéraires Maghrébines, Africaines et Antillaises (CELMA) de ladite Université ; Commandeur de lOrdre du Mérite de la République de Hongrie.
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